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Tout ça pour une veste sans manche ... |
Avant d'en prendre le départ, je voyais l'UTMB comme un aboutissement, un accomplissement majeur dans mon parcours de coureur à pied. Après coup, j'ai la satisfaction d'avoir terminé, mais le chrono n'a pas été à la hauteur de mes espérances, et surtout je n'ai pas envie (pour le moment) de recommencer.
Ce post revient sur cette aventure en quatre parties :
- Un compte-rendu ;
- Une analyse chiffrée ;
- Un retour d'expérience sur mes erreurs ;
- Quelques réflexions personnelles sur l'ultra-trail.
1. Le compte rendu
Je termine cet UTMB en 36h40, soit au-delà de mon objectif entre 30 et 32h. En termes de classement, je termine néanmoins dans le premier tiers, à la 348ème place sur 1.520 arrivants (environ 800 abandons, soit plus d'un tiers des partants !).
Pour faire simple, ma course s'est déroulée en 3 actes :
Acte I : de Chamonix à Courmayeur (km 81), tout va (presque) bien
Sur la ligne de départ, je suis clairement rempli par l'émotion, avec la concrétisation d'un projet entrepris depuis plusieurs années. En toute franchise, la musique de Vangelis était à deux doigts de me mettre les larmes aux yeux.
Sur ce début de course, c'est vraiment l'ambiance qui m'a marqué. Que ce soit à Chamonix, à Saint-Gervais ou à Notre-Dame de la Gorge, l'ambiance était fantastique.
Mon erreur sur ce début de parcours a été de partir trop vite. J’avais déterminé des horaires théoriques de passage pour mon assistance sur les bases de 30-32h et je me suis retrouvé à avoir jusqu'à 1h d’avance. J'avais l'impression d'être à l'aise sur ce début de parcours, mais non, j'aurai dû me mettre encore un cran en dessous.
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Les pyramides calcaires lors de la reco : magnifique mais technique |
Le passage marquant de ce début de course est celui de la descente des pyramides calcaires, effectuée dans un pierrier. J'avais reconnu ce segment début aout, et conscient de sa difficulté technique, je me suis appliqué à descendre avec la plus grande attention, afin d'éviter toute entorse. De ce point de vue, cela s'est bien passé, mais par contre, j'ai bien senti que les pieds chauffaient, et c'est là probablement le déclencheur de mes problèmes pour la suite.
La descente d'après vers Courmayeur et surtout sa 2ème partie avec ses nombreuses marches (après le col Checrouit), m'a fait comprendre que je commençais à être sérieusement entamé musculairement, ressentant de grosses raideurs dans les quadriceps.
Je suis arrivé à Courmayeur avec un trop bon classement pour mon niveau (111ème), et des premiers signes de fatigue.
Acte II : de Courmayeur (km 81) à La Fouly (km 113), le début des ennuis
Dans le gymnase de Courmayeur, l'affluence des spectateurs était réduite, normal il était 5h du mat ! Les temps d'arrêts étaient sensiblement différents d'un concurrent à l'autre. Pour ma part, entre se reposer un peu, se restaurer, se changer, se noker les pieds et faire la grosse commission, je suis resté 26 minutes. Cela m'a semblé beaucoup, et pourtant je gagne 3 places entre l'entrée et la sortie (de 111ème à 108ème). A titre de comparaison, François d'Haene s'est arrêté 5 minutes (!).
Dans la montée qui suit vers le refuge Bertone, je ressens une première grosse fatigue et plusieurs personnes me doublent. Mais c'est surtout après la montée, jusqu'à Arnouvaz que les ennuis vont vraiment commencer.
J'ai mal aux jambes, j'ai mal aux pieds, et il fait vraiment très froid. Pour la nuit, je m'étais bien couvert et une fois arrivée à Courmayeur, je me suis dévêtu, me disant qu'avec le lever du jour et le beau temps annoncé, les températures allaient monter. Le beau temps était effectivement au rendez-vous avec un beau ciel bleu, mais nous étions sur le versant à l'ombre, et surtout un fort vent glacial soufflait.
Cette section comporte de nombreux faux plats ou des descentes qui sont largement "courable". Mais je n'étais pas bien, et la sanction fut directe, me faisant passer par des wagons de coureurs, et rétrogradant de la 108ème place à Courmayeur (km 81) à la 151ème place à Arnouvaz (km 99).
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Y avait du soleil mais, ça caillait après Courmayeur |
J'ai eu l'impression de m'arrêter longuement à Arnouvaz mais au final il en était de même pour tous, et dans la montée au Grand Col Ferret (km 103), je suis arrivé à aller presque aussi vite que les autres (seulement 4 places de perdues, 155ème).
Dans les 10km de descente jusqu'à la Fouly (km 113), je me suis forcé à courir afin d'arrêter de me faire doubler, et bonne surprise, ce fut 3 places de gagnées (152ème).
Acte III : de la Fouly (km 113) à Chamonix (km 172), en mode survivor
Arrivée à la Fouly, je craque et pleure quelques instants. Les douleurs aux pieds sont trop difficiles à supporter, je ne me vois pas continuer à courir et forcément cela pèse sur mon mental.
A la sortie du ravito, je réalise que j'ai oublié de me noker les pieds. Je m'arrête, retire mes chaussettes et découvre l'origine de mes douleurs : des ampoules remplies de sang, c'est la première fois pour moi. Je repars en me disant que je me ferais soigner à Champex, mais c'était une erreur, j'aurais du le faire dès La Fouly.
A partir de ce moment et jusqu'à la fin de la course, je ne vais quasiment plus courir, seulement marcher. Conscient que je vais être très lent, je rationalise l'effort à produire pour être finisher. Il me reste un peu plus de 50 km à parcourir et j'ai 24h pour le faire. Ca fait donc du 2km/h, aucune raison de s'inquiéter, je ne ferai pas le chrono espéré mais c’est parfaitement envisageable de terminer dans les délais.
Plusieurs personnes m'ont posé la question de savoir si j'avais pensé à l'abandon à ce moment-là, et bien, très honnêtement non. J'étais tellement programmé mentalement pour terminer l'UTMB, tellement obsédé par cette course, qu'il aurait fallu une blessure totalement invalidante pour me faire arrêter.
Arrivée à Champex-Lac (km 127), j'en profite pour enfin me faire soigner les pieds, et j'adresse d'ailleurs un très grand merci à l'équipe des podologues pour leur prise en charge, ils étaient aux petits soins. En pratique, ils ont retiré le sang, retiré de la corne, mis un pansement et noké le tout. Malheureusement, j'ai du me ré-arrêter par la suite à Vallorcine, les poches de sang s'étant reformées.
Sur cette fin de parcours, j'arrive à être aussi rapide que le reste du peloton en montée. Par contre, je me prends des "avoinées" sur le plat, les parties techniques et les descentes. C'est souvent des petits wagons de 3, 4 ou 5 coureurs qui me doublent. Ca m'énerve, mais comme mon seul but est de terminer, j'arrive à dédramatiser la situation. En termes de classement, c'est évidemment la dégringolade : 197ème à Champex (km 127) puis 289ème à Vallorcine (km 154).
Je n'avais pas l'intention de dormir et c'est finalement sur la fin de parcours que le problème va se poser. Je suis pris de somnolence à la sortie de Vallorcine et c'est dans la montée de la tête aux vents que je m'arrête 3 fois environ 1 minute pour faire des micro-siestes sur le coté du chemin.
La partie technique jusqu'à la Flégère ainsi que la descente finale vers Chamonix sont interminables (racines et cailloux étaient insupportables). Arrivé dans Chamonix, je prends mon temps pour terminer, laissant un coureur me doubler pour être certain d'être seul sur la photo d'arrivée ;-)
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Arrivée à Chamonix à 5h40 du mat ... |
Evidemment quelques anecdotes
- Peu de temps avant d'arriver au refuge de la Croix du Bonhomme, j'entends des spectateurs qui s'égosillent à crier des "Allez Xavier", et idem quelques centaines de mètres plus loin. En les écoutant, je crois comprendre qu'il s'agit de Xavier Thévenard, et oui effectivement, il est à la dérive, et je le double dans le début de la descente menant aux Chapieux (il abandonnera juste après) ;
- Je devais être le chat noir de la famille Thévenard sur cet UTMB, car juste avant d'entrer dans le gymnase de Courmayeur, je double cette fois le frère de Xavier Thévenard, Jean-Marie, qui lui abandonnera à ce point là de la course ;
- Je ne sais pas si on peut vraiment dire que j'ai été victime d'hallucination mais mon cerveau avait sur la fin de parcours de grosses difficultés à interpréter les formes qu'il distinguait. Des rochers étaient identifiés comme des humains, des végétations comme des animaux, cela durait quelques secondes, puis je m'en rendais compte.
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La fameuse bière d'après course .... à 6h du mat ! |
3. L'analyse chiffrée
Pour avoir une vision fine de ma course, je me suis "amusé" à établir le classement segment par segment, tel qu'illustré par le graphique ci-dessous. Juste une remarque importante, ce classement intègre uniquement les coureurs ayant terminé l'épreuve. Ceci explique pourquoi je suis classé à Saint-Gervais 79 versus 134 au classement officiel (en d'autres termes, sur les 133 coureurs devant moi à ce moment de la course, 55 n'ont pas terminé !) :
Ce graphique confirme bien mon départ trop rapide et les premières difficultés à la sortie de Courmayeur. Par ailleurs, j'avais conscience d'avoir été lent sur la fin de parcours mais là je découvre que je suis dans les derniers, il était vraiment tant que cela se termine !
4. Mon retour d'expérience
Cette course ne s'est pas déroulée comme prévu, et fort de cet échec, voici à mon avis tout ce qui n'a pas marché pour moi durant cette préparation, et de façon plus générale tout ce qu'il est important de savoir.
(i) L'inconnu d'une première fois
J'ai loupé mon premier marathon, j'ai loupé mon premier 100km en montagne et jamais deux sans trois, j'ai loupé mon premier 100 miles en montagne.
A mon sens, un 100 miles est vraiment différent d'un 100 km, et il est clair que l'expérience sur ce format est indispensable pour performer. Si je devais refaire un 100 miles, il y a plein de choses que je ferais différemment, mais il faut le vivre pour le comprendre.
(ii) Un parcours difficile, quoi qu'en disent certains
L'UTMB a la réputation d'être "roulant" et c'est plutôt vrai, même si deux (courtes) sections sont techniques, à savoir (i) la descente des pyramides calcaires qui s'effectue dans un pierrier et (ii) le passage entre tête aux vents et la Flégère, avec de la caillasse de partout.
Néanmoins, les descentes présentent des dénivelés importants, à même de vous "défoncer" musculairement. Sur ce point, et alors que j'avais beaucoup travaillé à l'entrainement, j'ai pourtant été rapidement mis en difficulté (dès la mi-parcours).
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Les zig-zags correspondent à la montée bien raide de la Tête aux vents (photo lors de la reconnaissance du parcours en aout) |
(iii) La fatigue de la nuit
C'est pour moi l'énorme différence entre un UTMB et une CCC, car on attaque directement par une nuit blanche, et au petit matin, il reste encore 90km à faire. Sur ce point, la résistance à la fatigue me semble être un facteur de réussite au moins aussi important que les qualités de coureur.
(iv) Une préparation perfectible
A la réflexion, ma préparation comportait les points faibles suivants :
- Une année précédente (2020), où entre mon changement de job, mon déménagement et le Covid, j'ai peu pratiqué, partant de très bas à la reprise ;
- Un premier semestre 2021 perturbé par le Covid, où je n'ai pas pu faire le programme de courses souhaité, en particulier un trail en montagne de 80 km en juin, avec au moins 5.000m de D+ ;
- Un contexte professionnel chargé ;
- Un gros bloc d'entrainement placé trop proche de l'UTMB, et qui m'a probablement coûté en fraicheur. Malheureusement, compte-tenu de mes contraintes professionnelles, il m'était difficile de faire autrement, et j'avais une forte envie de profiter de la montagne pour mes vacances.
Pour finir, et au risque de me répéter avec des posts précédents, je pense que la meilleure façon de préparer ce type d'épreuve est de vivre à la montagne, afin d'être le plus adapté aux spécificités de ce terrain. D'ailleurs, vivre à la montagne serait le seul élément qui pourrait m'inciter à me ré-inscrire à ce type de course.
(v) Un pacing défaillant
On dit qu’il ne faut pas partir trop vite sur un ultra, mais je
dirais plutôt qu’il faut partir lentement, très lentement. Sur cet UTMB, j'ai vraiment eu l'impression de partir "facile" (j'ai marché dès les premières côtes entre Chamonix et Les Houches) mais lorsque je compare à mon plan de course, j'ai pourtant eu jusqu'à 1h d'avance.
Ma recommandation est qu'il faut partir avec ses temps de passage sur soi et les vérifier toutes les 30 minutes pour le cas échéant se freiner.
(v) Des pieds mal préparés
Sur ultra, tout est important, n'importe quel petit détail peut lourdement perturber votre course. Sur cet UTMB, ma mauvaise préparation des pieds m'a clairement mis en difficulté, alors qu'il aurait été possible de facilement l'éviter.
Habituellement, j'enlève la corne avec une râpe que j'ai perdue deux semaines avant le départ et je n'ai pas pu racheter la même. La nouvelle n'était pas aussi efficace pour enlever les excès de corne et malheureusement, je ne m'en suis pas inquiété.
Les podologues qui m'ont soigné sur cet UTMB m'ont clairement recommandé d'aller voir un professionnel avant la course pour préparer ses pieds. Ils déconseillent les râpes, à même de provoquer des échauffements, et préfèrent utiliser des lames pour enlever la corne.
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J-1 : Préparation du matos |
4. Quelques réflexions personnelles sur l'ultra-trail
Libéré d'avoir terminé l'UTMB, cela a été pour moi l'occasion de prendre du recul sur cette course et plus généralement sur ma pratique.
J'ai vraiment aimé la partie de la préparation faite en montagne avec des sorties de 30 à 40km. On a le temps de profiter des magnifiques paysages, et on est suffisamment remis d'un jour sur l'autre pour enchainer les sorties.
A l'inverse, j'ai pris peu de plaisir sur l'UTMB et je ne suis pas certain d'avoir les prédispositions pour un jour en prendre. Je pense notamment qu'il faut avoir des super qualités musculaires de résistance pour enchainer les descentes et être capables de courir un maximum de section. Je pense qu'il faut également une grande résistance à la fatigue, notamment pour avoir encore de l'énergie après la nuit blanche.
Je me posais déjà la question pour la CCC et la TDS, mais là c'est encore pire, est-ce que l'UTMB c'est encore de la course à pied ?
Cela m'a tellement interpellé que j'en ai parlé à mon entraineur qui m'a dit : "Pour moi, ce type de course est certainement trop extrême et trop éloigné ou hors normes par rapport à une appellation trail. De plus la gestion du sommeil, de la fatigue se rapproche plus de celle des marins (courses au large) et donc hors standard même du trail". Ces paroles m'ont rassuré - je ne suis pas le seul à penser cela.
Par ailleurs, au vu de mon expérience et de mon potentiel actuel, je pense qu'un 100 / 120 km est pour moi le maximum pour prendre du plaisir sur un trail de montagne, et que mon épreuve préférée, c'est le marathon. C'est le bon mix entre vitesse et durée (ça dure un peu et la vitesse n’est pas dégueulasse).
Enfin, je m'interroge également sur le succès de l'UTMB. Environ 1/3 des personnes ont abandonné en 2021 et 50% ont mis plus de 41 heures, et pourtant il est compliqué de s'y inscrire. Qu'est ce qui motive le coureur moyen du peloton ? J'ai du mal à croire qu'il s'agisse du plaisir pris en course. Est-ce la satisfaction d'avoir terminé ? Mais n'est-ce pas disproportionné par rapport à ce qu'il faut endurer ? Est-ce la production d'endorphine qui rend le corps totalement accro ?
Epilogue : et au fait, c'est quoi la suite ?
Après un marathon, j'ai toujours une période de fatigue de 1 à 2 semaines, qui se traduit généralement par un week-end de glandouille totale.
Pour cet UTMB, cela a duré 6 semaines (!), et en plus, je suis tombé malade :-(. C'était vraiment impressionnant, je n'avais plus aucune énergie pour faire du sport le week-end alors que normalement c'est mon passe-temps favori. D'ailleurs, mon entraineur m'avait prévenu en m'indiquant que cela pouvait durer jusqu'à 2 mois.
Dans ce contexte, il n'y aura probablement pas d'autre compétition sur 2021, rendez-vous donc en 2022 !