C'est en lisant Born to Run puis en participant à la Transrockies Run que j’ai découvert Leadville et son ultratrail. Après deux participations à l’UTMB (2021, 2022), et cherchant un nouveau challenge, j'ai spontanément pensé au 100 miles de cette ville. Le destin a fait le reste, étant tiré au sort dès ma première tentative.
Cet ultra-trail était l’objectif n°1 de mon année 2023, d’où ce long compte rendu, qui aborde, entre autres l'histoire de la course, son parcours, ou encore ma préparation.
La genèse de la course
Un peu moins de 3.000 personnes vivent aujourd’hui à Leadville, mais la localité a compté jusqu’à près de 15.000 habitants au 19ème siècle, de par l’exploitation des mines aux alentours, les sols étant particulièrement riches, avec notamment de l’or et du plomb (d’où le nom de Leadville ...).
Suite à la fermeture de la dernière mine au début des années 80 (le molybdène, un composant utilisé pour durcir l'acier) qui employait ≈ 3.000 personnes, les locaux ont créé une épreuve sportive pour maintenir un minimum d’activité économique. C’est ainsi que la première édition s’est tenue en 1983, soit un peu après la Western State (1977) et avant la Hard Rock (1992).
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Rue principale de Leadville |
Depuis plusieurs années, l’organisation a rajouté d’autres épreuves, aussi bien en trail qu’en VTT, et il est possible de combiner les épreuves, avec un classement dédié.
C’est la Leadville 100 qui a en outre révélé Anton Kupricka, vainqueur en 2006 et 2007. Par ailleurs, un seul français s’y est imposé, Thomas Lorblanchet en 2012 (devant d’ailleurs Anton Kupricka).
Un parcours pas si facile qu’il n’y paraît
La singularité du parcours est d’être un aller-retour, et sa première difficulté ne provient pas du dénivelé (seulement 4.200m de D+ pour 160km), mais de l’altitude, avec un point le plus bas à 2.800m (Twin Lakes) et un point le plus haut à 3.750m (Hope Pass), pour une altitude moyenne de 3.100m. A titre de comparaison, le point le plus haut de l’UTMB, le col des Pyramides Calcaires, n’est qu’à 2.600m (le grand col Ferret est lui perché à 2.550m).
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Le parcours = un aller-retour entre Leadville et Winfield, avec un double passage à 3.750m (Hope Pass) |
La deuxième difficulté concerne la barrière horaire qui n’est que de 30 heures. Toujours par comparaison, elle est de 46 heures à l’UTMB.
Ces deux difficultés (altitude et barrière horaire) font que le taux de finishers est généralement aux alentours de 50%, malgré un parcours qui semble « accessible ». Pour cette année 2023, seulement 364 coureurs sur 826 ont terminé, soit un taux d’abandon de 56% !
Pour l'anecdote, le parcours va jusqu'à Winfield, là où se situaient les premières mines exploitées vers 1880.
Coup de rétroviseur sur le début de l’année
Les 4 premiers mois de 2023 se sont bien passés, avec principalement des nouveaux records sur semi-marathon (1:16 à Paris) et sur marathon (2:44 à Paris), et ce malgré le Covid attrapé 3 semaines avant le marathon (merci les plaques carbones ;-).
Par contre, il m’a bien fallu 3 semaines pour me remettre du marathon, et à partir de mai, le focus a été mis sur le trail, profitant des week-ends prolongés pour aller en montagne. Le mois de juin a été l’occasion de participer aux 70km de Montreux (15ème au scratch), puis de prendre une semaine de congés pour aller repérer les cols de l’Etape du Tour et randonner autour de Zermatt.
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Magnifique Cervin |
En juillet, le volume d’entrainement a sensiblement augmenté (82h, un record), probablement trop d’ailleurs, avec un manque de fraîcheur évident pour l’Etape du Tour (614ème sur 11.791 finishers).
Début août, j’ai l’impression d’avoir franchi un cap à basse intensité, avec pour un même effort, une fréquence cardiaque plus basse, et des jambes qui fatiguent moins ... la confiance est là !
La dernière ligne droite
Dans le contexte d’une course en altitude, l’acclimatation est primordiale, sachant qu'idéalement, il faut bien 3 semaines. Pour des contraintes professionnelles et budgétaires, cela n’était pas possible. A défaut, je suis allé à La Rosière puis à Tignes juste avant mon départ pour le Colorado, si bien qu’au total, j’aurais passé 15 nuits en altitude avant la course.
Le séjour à Tignes a d'ailleurs été l’occasion d’effectuer une sortie de 3h avec Ugo Ferrari (22ème de l'UTMB 2023), merci à lui de m’avoir accepté. Pour l’anecdote, le run s’est terminé avec Martin Gaffuri (l’un des speakers de l’UTMB) croisé par hasard autour du lac de Tignes.
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@ Tignes, avec Ugo Ferrari et Martin Gaffuri |
Coup de stress à 6 jours du départ, où je suis pris d’un bon coup de fatigue comme cela m’arrive de temps à autres. Des acouphènes apparaissent comme lors de mes deux Covids, mais les tests sont négatifs. En accord avec mon entraîneur, j’effectue le minimum syndical sur les derniers entraînements pour maximiser la fraîcheur. La confiance bâtie durant tout l’été n’est plus tout à fait la même au moment du départ ☹.
Un seul objectif, la big buckle
Mon objectif rêvé est de terminer en moins de 25 heures et ainsi repartir avec la « big buckle », qui est une boucle de ceinture d’une taille plus importante que celle réservée aux « simples » finishers en moins de 30h.
Ce chrono est a priori tout à fait envisageable sur la base de mon indice UTMB sur 100 miles qui est de 640 (acquis lors de l’UTMB 2022) et qui me prédit un temps en moins de 23h (25h = 590 d'index UTMB).
En outre, ayant plutôt l’impression d’avoir progressé, je me dis secrètement qu’un sub 22h est possible, à condition d'avoir bien digéré la fatigue des derniers jours. Toutefois, et pour s’éviter toute pression inutile, les temps de passage sont construits selon deux scénarios : un premier pour terminer en 22h30 et un second en 25h00.
En termes de classement, je n’ai aucun objectif, mais un chrono de 22h30 laisse espérer un top 30 sur la base des résultats des trois dernières années.
Une stratégie prudente
Sur 100 miles, la règle d’or est de partir sur un rythme très lent, et pour être certain de cela, je pars comme sur l'UTMB avec mes temps de passage sur moi. En outre, mon entraîneur me conseille de ne surtout pas forcer dans les montées, étant préférable de s’économiser à tout prix en altitude.
Même si la course est un aller-retour, la deuxième partie est sensiblement plus lente, avec d’une part, la fatigue de l’aller, et d’autre part, des montées plus raides. Une analyse des éditions antérieures montre qu’il faut boucler l’aller en 10h00 / 10h15 pour espérer terminer en 22h30.
S’agissant d’une course aux Etats-Unis, les pacers sont autorisés sur la deuxième partie du parcours, et ces derniers ont même le droit de porter le sac de leur coureur ! Et si vous ne connaissez personne, pas de problème, il est possible d’en récupérer un aux ravitaillements. Dans mon cas, j’avais envie de vivre ma course sans devoir me forcer à parler à quelqu’un que je ne connaissais pas, et j’avais donc décidé de faire sans pacer.
Une course en mode "ascenseur émotionnel"
Sur la ligne de départ, il fait encore frais mais la journée s'annonce belle et sans pluie. L'ambiance est décontractée, aucune bousculade pour être en première ligne. Des coureurs sont déjà en short et t-shirt, certains sans sac, juste une bouteille à la main, d'autres sont en chaussures de route.
A quelques minutes du départ, Ben Chlouber motive une dernière fois les coureurs. 40 ans après la création de la course, il est toujours là avec sa femme, étant précisé que tous les deux attendent ensuite
tous les finishers sur la ligne d'arrivée. A 84 ans, c'est évidemment la passion qui l'anime, et moi je dis bravo. Petit coup de chance, je suis juste à coté de lui pour profiter de son discours (vidéo
ici), et admirer le fusil qui donnera le départ.
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Ken Chlouber prêt à donner le départ avec son fusil - J'étais juste à coté de lui ! |
Assez rapidement, je ne me sens pas à mon aise, ce qui m’ennuie profondément car cela présage une course difficile. Il n’y a pas grand-chose à y faire, juste l'accepter et espérer que cela passe ...
Malheureusement, cela ne passe pas, avec à partir du 30ème kilomètre, la sensation que mon estomac ne va pas être coopératif. Par prudence et pour ne pas me surcharger, je décide de limiter les apports liquides et solides. Ces problèmes gastriques m’inquiètent désormais sur ma capacité à terminer l’épreuve. Comme depuis le début, je n’ai rien d’autre à faire que de « gérer » cette difficulté, en ne forçant surtout pas, et en attendant que cela passe.
Arrivée à Twin Lakes (61ème km), je passe par la case WC, et j’ai l’impression de délivrer mon estomac. Dans l’ascension qui suit de Hope Pass, le point culminant du parcours, je me sens revigoré et reprends confiance en ma capacité à terminer la course.
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Dans la montée de Hope Pass (photo prise lors de la reco) |
Conscient toutefois que je suis en déficit calorique, je m’efforce de manger autant que possible dans cette montée. En termes d’hydratation, je vais commettre une erreur, ne rechargeant qu’une seule de mes deux flasques lors du ravitaillement avant le sommet. Dans la descente qui suit et jusqu’au ravitaillement de Winfield (80ème km), c'est la double peine, avec d’une part, la descente qui tabasse et me re-défonce l’estomac, et d’autre part, un manque d’eau qui me conduit presque à la déshydratation.
En arrivant à Winfield (mi-parcours), je repasse par la case WC, et je sais qu’il me faut absolument boire et manger en quantité avant la deuxième montée de Hope Pass. Pour éviter tout risque de régurgitation, je décide de m’arrêter un petit moment, soit près de 25 minutes.
Pendant ce temps, je vois les autres coureurs qui ne s’arrêtent que quelques instants, avec de nouveau un très gros doute sur ma capacité à finir la course. Il y a même un bénévole qui demande à voix haute si je vais abandonner ...
D’un strict point de vue chronométrique, je ne suis pas trop mal par rapport à l’objectif d’être en 10h00 / 10h15 à Winfield, étant arrivé en 9h55 et reparti vers 10h20. Néanmoins, l’objectif des 25h est désormais secondaire, il ne s’agit plus que de terminer.
La deuxième ascension de Hope Pass est particulièrement pénible, la pente est plus raide (surtout sur le début), mon estomac reste « fermé », et l’altitude accroît la difficulté. Néanmoins, je m’accroche et à ma grande surprise, personne ne me reprend, doublant même deux coureurs sur la fin de la montée.
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Au sommet de Hope Pass, coté Winfield (photo prise lors de la reco) |
La descente s’effectue à allure raisonnable (normal avec 90km dans les jambes ...), et pourtant je double 12 coureurs. Cela m'a beaucoup étonné car je n'ai jamais été un grand descendeur.
De retour à Twin Lakes (100ème km), je constate à ma grande surprise que j’ai environ 1h d’avance pour terminer en moins de 25h. C'est à nouveau l'ascenseur émotionnel, mais je suis également conscient que le sub-25 va être au prix d'une fin de course où il va falloir en permanence s'accrocher.
Jusqu’à l'arrivée, je vais toujours rencontrer les mêmes difficultés à boire et à manger. Dès que je bois un peu d'eau, il s’ensuit d’innombrables « rototos ». Le sucré me donne la nausée, en particulier les barres (Cliff, Naak ou Baouw, même si ces dernières passent un peu mieux). Heureusement que je m’étais préparé des petits sandwichs au fromage dans mes drop bags du retour, car la seule nourriture salée disponible aux ravitaillements, ce sont des Bretzels.
L’espoir de terminer sous les 25h devient obsessionnel. Toutes les 10 à 15 minutes, je regarde le temps et la distance restants afin de calculer la vitesse minimum à tenir pour atteindre cet objectif. Je ne suis pas très rapide mais régulier, marchant dans les montées, et avançant au petit trot dans les descentes et sur le plat, si bien que je reprends de temps à autres des concurrents et remonte de 41ème à Twin Lakes (100ème km) à 25ème à May Queen (140ème km). A ce moment, il reste 20 km à effectuer en 5h30 pour obtenir la big buckle - je comprends alors que c’est normalement gagné. Oh yeah !
Cette dernière section se divise en deux parties. La première est le long du lac turquoise, c’est un single modérément technique, avec des petits « coups de culs » à passer tout du long, je ne double personne et personne ne me double. La deuxième partie est un faux plat montant d’environ 5 km. Je sais que l’objectif du sub-25h sera respecté et je n’ai plus la force mentale de courir, si bien que je me fais remonter par différents concurrents (tous accompagnés d’un pacer ...), et stresse un poil à l’idée de me faire sortir du top 30. Psychologiquement, c’est pénible, car cette partie est principalement en ligne droite, et à chaque fois je vois au loin les lumières des lampes frontales qui se rapprochent petit à petit pour me doubler. A chaque fois, je me demande si c’est un concurrent avec son pacer ou deux concurrents qui vont me dépasser d'un coup.
Je franchis la ligne en 22:38:43, en 28ème position, et me jette dans les bras des organisateurs, Ken Chlouber et de sa femme Merilee Maupin. Ce chrono était celui visé, mais compte tenu du déroulé de la course, c'est beaucoup plus fort en termes de satisfaction personnelle.
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Mission accomplie, la big buckle est « in the pocket » 😊 |
Sans ordre particulier, les quelques enseignements que je retire de cette course :
- Tout ultra-trail a ses spécificités, si bien qu'à mon sens ce n'est jamais à sa première participation que l'on va faire son meilleur temps ;
- Courir à 3.000m est clairement un facteur supplémentaire de difficulté, il ne faut surtout pas prendre à la légère ce paramètre (la difficulté supplémentaire entre 2.000 et 3.000m est bien plus importante qu'entre 1.000 et 2.000m) ;
- La nourriture salée sur les efforts longs est impérative pour moi ;
- Sur l'origine de mes problèmes gastriques, je n'ai pas encore trouvé de réponse ;
- Mon index UTMB pour cette course n'est pas encore disponible, mais sur la base des résultats antérieurs, ma cotation serait de 649, soit un peu mieux qu'à l'UTMB 2022 (640). En supposant que mes problèmes gastriques m'ont coûté 1 heure, ma cotation serait de 684 ;
Comme d’habitude, quelques anecdotes :
- Un magasin à Leadville (Montezuma) vend des polaires qu’ils fabriquent sur place, les couturières étant d’ailleurs visibles depuis l’intérieur de la boutique. Le process pour acheter est un peu compliqué, car il faut réserver d’avance un créneau. Je ne le savais pas, mais le vendeur plutôt sympa, me dit qu'il fait une exception pour moi car je suis de l’étranger. On discute, et m'indique qu’il va courir la Leadville 100 et viser un top 10 (il avait terminé 11ème en 2021) ! Malheureusement, il était dans un jour sans, je le doublerai dans la montée de Hope Pass, et il abandonnera à Winfield ;
- A la seule boutique de Twin Lakes, j’achète des timbres pour la France, et la caissière américaine me dit qu’elle a été fille au pair à Sèvres et qu’elle va pacer son copain pour la Leadville 100. Après le vendeur de Montezuma, je me dis que tous les locaux sont concernés d’une façon ou d’une autre par cette course !
- Au ravitaillement de May Queen, une bénévole me demande d’où je suis en France et lui réponds de Normandie, elle me dit qu’elle a des amis qui habitent à Camembert ... soit juste à 9km de Livarot, le village où j’ai vécu jusqu’à 18 ans et où je passe encore pas mal de mes week-ends !
Pourquoi je recommande cette course
- L’atmosphère est incroyable :
- Les crews mettent une super ambiance aux ravitos, en particulier celui de Twin Lakes ;
- La plupart des concurrents sont extrêmement bienveillants envers les uns et les autres (bien plus qu'en France) ;
- Cette épreuve est portée par la charisme de Ken Chlouber, son discours sur la ligne de départ m'a électrisé ;
- Cette course à des petites particularités qui misent bout-à-bout font son charme, je pense notamment :
- Au début et à la fin donnés par un coup de fusil (vidéo ici) ;
- Au passage de la rivière les pieds dans l'eau ;
- A la boucle de ceinture remise aux finishers, c’est quand même plus stylé qu’une polaire sans manches ;-)
- Les paysages : je ne dirais pas que le Colorado est plus beau que les Alpes, mais ces montagnes sont différentes et valent le coup d’être découvertes.
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@ Rocky Mountain National Park |
Les quelques points négatifs :
- Le coût de la participation ;
- La contrainte de devoir s’acclimater pour ne pas trop subir l'altitude durant la course ;
- La nécessité d’être raisonnable sur les randonnées et visites d’avant course pour ne pas trop se fatiguer, mais sinon il y a de magnifiques endroits à découvrir ;
- Les purs montagnards seront peut-être frustrés d’une course qui manque de dénivelé, mais pour un "runner" comme moi c’était parfait !
Mes quelques conseils pour tout coureur qui souhaiterait s’aligner
- Réserver au plus tôt votre hébergement, car les capacités d’accueil sont limitées à Leadville en particulier, et dans le Colorado en général ;
- Concernant l’altitude, difficile de donner des conseils, l’idéal serait d’arriver 3 semaines avant, ce qui ne parait guère réaliste pour la plupart des coureurs ;
- Je suppose que l’altitude créée une sur-fatigue, qui se manifeste surtout en deuxième partie de course, et qui explique le fort taux d’abandon. Il est donc d'autant plus important de partir prudemment ;
- Au ravitaillement, c’est essentiellement du sucré qui est présent. Pour du salé, c’est plutôt à prévoir soi-même ;
- En termes de chaussures, il faut privilégier un modèle mixte route et chemin pour la partie entre Leadville et Twin Lakes (Hoka ATR dans mon cas) et un modèle plus typé montagne pour la section entre Twin Lakes et Winfield (Saucony Peregrine pour moi) ;
- Concernant les bâtons, je ne les ai pris que pour la section entre Twin Lakes et Winfield. Pour les autres parties, ils ne me semblent pas indispensables ;
- De mon expérience, le temps change très vite dans le Colorado. Le scénario habituel, c'est un grand ciel bleu au matin, puis des nuages qui arrivent en matinée, pour terminer par un orage plus ou moins violent dans l’après-midi. Dans ce contexte, une veste de pluie tout au long de la course me semble indispensable (pour mémoire, aucun matériel obligatoire !).